Georges Tony Stoll

Mon chef-d’œuvre

Le chef-d’œuvre est une œuvre capitale, maîtresse, au-dessus de toutes les autres qui ont été produites, une réalisation qui provoque un assentiment général autour de son invention, de son  intelligence, de sa perfection, de son aura. Celui qui a produit ce point de rencontre sublime, occupe à jamais une place particulière au-dessus du commun.

Le chef-d’œuvre est aussi la réalisation que doit produire un apprenti à la fin de son éducation pour obtenir le titre de compagnon dans certains corps de métier, comme la preuve d’un savoir faire parfaitement appris et l’amorce d’un savoir faire particulier. Il faut l’assentiment des membres d’une assemblée autour de cette réalisation pour que celui qui n’est plus un apprenti et qui n’est pas encore un compagnon puisse faire parti à jamais de cette assemblée et en connaître les vrais secrets.

Ce qui est intéressant dans les deux cas est bien entendu la présence d’un objet, une présence remarquable, d’où émane une certaine harmonie réconfortante, une harmonie nécessaire et partagée par le plus grand nombre. Celui qui produit cet objet remarquable doit certainement penser à ce besoin d’harmonie, ressentir ce besoin, chercher à atteindre cette harmonie.

On peut alors imaginer que cette quête peut aussi se traduire par un échec cuisant, cet idéal ne peut être atteint, et qu’alors l’expérience de cet échec ou de cette erreur favorise un autre type de production, elle pousse celui qui croit savoir, mais qui ne sait plus user correctement des principes primordiaux de ce savoir, le pousse donc à inventer la bizarrerie, ce qui n’a jamais été vu, ce qui est différent.

On peut ainsi se mettre à parler seulement d’une œuvre et comprendre cette forme d’attraction produite, ce qu’elle ne donne pas aussitôt et sentir le temps qu’il faut pour trouver une place en tant que regardeur. Voilà ce qui oblige parfois le retour vers cet objet, revenir et voir encore, penser encore et même chercher encore ce qu’il y aurait à dire pour en finir avec l’oeuvre en elle-même et passer à autre chose, ou simplement s’en aller plus confiant, à la recherche d’autres étrangetées. Alors, cette histoire de pétillement si l’on est calme, ou d’explosion si l’on est décidé, énervé, enfin dans cet entre-deux qui irrite l’esprit, il est évident que toutes ces sensations nous permettent de parler en face de cette oeuvre ou en face de son souvenir, de raconter l’état du monde, de l’analyser, mais aussi d’inventer une histoire, une autre histoire même,  et l’oeuvre est un trompolino sur lequel il devient obligatoire de s’entraîner pour un saut toujours plus haut et beau.

MON CHEF-D’ŒUVRE – 2003 est fait d’un assemblage de trois corps de bâtiments réalisés en contreplaqué et dont les façades sont recouvertes d’une pellicule de peinture or. Ces trois « maisons » sont disposées sur une table quelconque et forment ainsi un vrai regroupement d’habitations. La taille modeste de la présentation de ces trois bâtiments peut faire penser que nous sommes en présence de la maquette d’un projet hypothétique de construction, projet peut-être utopique, car après tout, pourquoi ne pas rêver de maisons aux murs recouverts d’or et dont la possession serait bien entendu accessible au plus grand nombre.

Mais la forme de ces constructions peut paraître aléatoire, mal ou bizarrement pensée ou réalisée, et MON CHEF-D’ŒUVRE – 2003 devient alors la représentation d’un constat quand à la réalité actuelle, quelle architecture pour quel usager, que voyons-nous construire autour de nous, etc.

MON CHEF-D’ŒUVRE – 2003 est avant tout une entreprise artistique qui se place dans mon travail, dans cette nécessité à produire des évènements simples qui renvoient les images d’un ensemble de réalités vraies ou fictionnelles, un mode de communication dans lequel le regardeur doit trouver une place particulière, aidé par sa propre expérience du monde. MON CHEF-D’ŒUVRE – 2003 se place à une certaine distance, à l’intérieur de ce que j’appelle le territoire de l’abstraction, là où tous les phénomènes se rejoignent et forcent la réaction, la contradiction et ainsi l’invention. MON CHEF-D’ŒUVRE – 2003 est une claque, un éclat de rire, une annonce, un récit, un vertige, un éblouissement, un son ou un bruit, tiens voilà, un bruit complet, total, un résumé de tous les autres bruits produits par tous les mots.

 

 

 

 

 

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