Georges Tony Stoll

Tombé – 2003

Je viens de me réveiller, je ne sais pas combien de temps j’ai dormi, je ne me souviens de rien. Je comprends que je suis collé à un mur. Mes fesses sont collées à la paroi de ce mur qui est granuleuse, du parpaing je crois, et ma peau a mal. La colle que quelqu’un a dû utiliser, car quelqu’un, un homme a dû vouloir me voir ainsi, suspendu à ce mur par les fesses, le torse penché en avant, les jambes écartées, les pieds en l’air, cette colle donc irrite ma peau, la brûle un tant soit peu, mais fonctionne, une vraie colle forte, je tiens bien – je pense tout à coup à une publicité qui vantait ce genre de produit indéfectible et qui montrait un homme collé par les pieds à un  plafond , la tête en bas ; lui était habillé et moi, je suis collé à un mur et nu.

Je suis surpris, vaguement effrayé et je souris. La situation est farfelue et a l’air de me convenir, me divertir en m’offrant une autre perspective de ce que mon corps et moi-même pouvons représenter. Et puis,  ma queue est raide. Je bande donc, exposé ainsi en hauteur. Je dis vaguement effrayé parce qu’au fond de moi, je ne suis pas si étonné de me retrouver dans la situation d’un homme qui est exhibé comme une statue, possiblement remarqué, admiré, et pourquoi pas à vendre. J’ai le désir et l’habitude de plonger tout entier dans des occupations qui pourraient paraître à d’autres incroyables, voire dangereuses. Et souvent lorsque le sexe est l’enjeu principal, surtout infernal, ce qui comble ma sensibilité toujours attentive au moindre phénomène – je pourrais me mettre à faire la liste d’exemples de ce genre d’ébats voluptueux, mais je n’en ai pas envie tout à coup, ou alors, je me retiens.

Je m’ennuie un peu. Ëtre collé à un mur, bandant et seul, n’est pas si excitant. Je devrais me mettre à me branler – je le fais souvent quand mon esprit est lourd –, mais bizarrement, je n’en éprouve pas le besoin. Non que j’ai une quelconque crainte d’être surpris, peut-être par celui qui a fait de moi cette chose à vendre – s’il me surveille, il doit espérer que je me mette à m’astiquer, le salaud –, non, pas envie de m’alléger. Je me demande combien je dois valoir, un certain prix quand même, et je suis assez intrigué par l’idée de rencontrer un amateur à l’allure peut-être aussi étrange, un explorateur de terres inconnues, un avaleur de curiosités – de cela, j’en suis sûr, je suis une curiosité…

L’homme, suspendu par les fesses à ce mur vient de tomber. Comme il était exposé à une certaine hauteur, on a pu assister à la démonstration d’un joli flip, parfaitement réalisé – peut-être cet homme est ce genre de sportifs qui ne font que s’envoler avec élégance avant de disparaître dans les profondeurs irréelles d’un bassin bleuté. Lui est tombé à plat sur le sol, près d’une table qui se trouve là. Il garde la même position qu’il tenait collé au mur, il ne remue pas, il ne souffre pas. On peut remarquer la saleté grise qui recouvre la plante de ses pieds, cet homme a dû venir de loin avant de se laisser exposer sur ce mur, un étranger remarqué par la force calme de ce corps maintenant abandonné.  La lumière est claire, un lieu parfait pour une éternité annoncée.

 

Tombé - 2003

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