Georges Tony Stoll

Projet pédagogique

Si l’on comprend que le champ de l’art est clos, enseigner dans une école de beaux-arts pourrait apparaître comme une fonction liée seulement à la reconnaissance d’un territoire.

Au début des années 80, le plaisir est devenu possible, nous pouvions jouir de l’art à l’encontre de la loi conceptuelle. Au cours des années 90, les artistes ne s’interdisent plus rien, ils jouent avec l’illusion d’une absence de repères, en inventant de nouveaux repères liés à l’histoire personnelle au centre de l’organisation sociale. Les artistes se montrant tels qu’ils sont dans des espaces à la fois limités et, à des moments, ouverts sur des mondes étrangers. L’exposition apparaît comme un lieu de spectacle, peut-être de divertissement, où sont présentées des versions multiples d’un même thème, dans une configuration universelle en constant mouvement : tout est intrigue, intrigue que nous sommes forcés de rencontrer.

Dans l’espace de mon travail, je mets un temps à mettre en place dans mes photographies les performances des corps, l’utilisation des objets, des architectures, des paysages comme des preuves de fictions possibles. Je mets un temps à reproduire précisément les formes dans les tableaux et les dessins comme des positions, mais aussi comme des illustrations d’espaces incertains et anonymes. À réfléchir sur les hauteurs exactes des constructions qui signalent une proximité aléatoire, des constructions qui  paraissent ne pas avoir la taille attendue et qui sont des repères fictionnels, d’où émergent des brides d’histoires bizarres. La circulation effrénée des mots dans mes livres. Tout cela dans une cartographie que je veux provisoire, sans cesse recommencée, à l’image de forces contradictoires, qui viennent de la reconnaissance de l’attraction qu’exerce sur mon esprit l’idée et l’actualité du vide, du plein, du rien. L’impossibilité que j’éprouve à faire du  reportage, un portrait. La nécessité que j’ai à transformer un objet en une chose dans laquelle on pourrait entrer, un paysage comme un mirage numérique, un bruit comme la caisse de résonance de tous les bruits anonymes. L’exploration de ce qui est devenu faux, de la parodie alors, de la pantomime sans réfléchir à une quelconque idée de mise en scène.

La part du sensible dont je sais profiter pour m’éloigner sereinement de la réalité.

Tout est image.

Tout est manipulation.

Configuration de repères.

Enseigner est donc pour moi le partage d’un temps nécessaire, le partage de cette habitude, de cette inquiétude. Rechercher et transformer la perception de ce que l’on sait de soi et du monde, à partir de l’exploration et de la force du hasard. Cela revient à réfléchir à une compréhension de ce que signifie un emplacement particulier au centre d’une vitesse virtuelle, où il serait possible  d’envisager une vision alternative.

Comprendre ce qu’est l’art, c’est apprendre comment se placer dans son histoire personnelle, comment placer cette histoire à l’intérieur de l’histoire contemporaine, en regard de la connaissance de la mémoire universelle. Il s’agit alors de liberté, d’autodétermination à l’intérieur du processus créatif. Il s’agit d’apprentissage, de compréhension, d’évaluation, et enfin, d’invention.

Une exploration multiple au travers d’un maillage expérimental (dont certains des phénomènes peuvent paraître plus audacieux, ou au contraire plus censeurs), et dont l’expérimentation aboutit à la production d’une affirmation. Les élèves savent assumer que l’œuvre produite ne peut qu’être un élément de référence dans sa forme, dans le sens de son contenu, et aussi dans son récit. Ils doivent apprendre à reconnaître la nécessité de l’indépendance de cette œuvre pour quelle soit un repère.

La production au travers de multiples moyens. Les élèves sont invités à utiliser tous les outils qui leur sont proposés pour devenir des passeurs d’informations, de réflexions, d’émotions.

Je propose la mise en place d’un laboratoire de travail au sein duquel est developpée l’approche d’une idée en mêlant la réflexion et l’action. Le mélange des élèves de différentes années permet de faire de l’atelier un lieu d’expérimentation, d’échanges, ouvert à l’intérieur de l’école, en relation avec les autres ateliers.

.Il me paraît essentiel que les élèves s’habituent à exprimer naturellement une réflexion plastique au sujet de  l’expression, la manipulation, la construction, la présentation, l’espace de l’œuvre. Pour la peinture, le lieu du cadre peint. Pour la photographie, la couleur, le noir et le blanc, le format, l’argentique ou le numérique. Pour le son et/ou le film, l’écriture, le rythme, l’intensité. Ils doivent expliquer la réalité de leur production, identifier leur source, ainsi à aller jusqu’au fond de chaque expérimentation en toute liberté.

L’atelier est un lieu de travail où les expérimentations des  élèves de chaque année sont confrontées lors de présentations régulières. Au cours de ces présentations, les élèves parlent de leur travail sur un mode critique, en explicitant les origines, les références, les confluences et les moyens plastiques utilisés, qui ont nourri l’élaboration de leur projet. Il sera toujours essentiel de signaler, et mettre en perspective, l’influence d’un artiste, d’un courant ou d’une actualité. Un échange critique doit se produire entre tous les élèves.

Dans le meilleur des cas, les élèves seront invités à produire des textes critiques ou fictionnels au sein de l’atelier.

 

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