Georges Tony Stoll

Interview (Dildo)

Interview (version courte) parue dans Dildo n°4

Le 9 janvier 2004, par Vincent Simon

 

A propos de ton travail, pour moi la première question qui se pose c’est : pourquoi les sujets humains dans tes photographies sont uniquement des hommes ?

Simplement parce qu’ils sont à côté de moi. Ce sont eux que je connais le mieux. Les hommes sont plantés au sol à côté de moi, je les vois, je les touche, je m’en sers. Je ne l’invente pas, c’est comme ça. Le désir sexuel entre en jeu, ça c’est clair, mais la place du désir sexuel dans l’histoire de mes photos est minimale. Les photos ne montrent pas seulement ce désir-là, il existe, il est quelque part.

Sans doute parce que ton travail n’est pas une documentation de ta vie avec l’introduction de la performance. J’ai l’impression que dans ce que tu dis il y  a un souci d’authenticité, d’honnêteté, « parler de ce que je connais ». Et à partir de ce que je connais produire quelque chose de nouveau…

L’authenticité, moi je ne suis pas très sûr de ça. Les hommes qui sont dans mes photos ne doivent pas être d’abord ou essentiellement ou même aussi des hommes authentiques, vrais. Les hommes dans mes photos sont en marche, à leur vitesse, ils marchent à leur manière, ils tentent des coups, ils se contredisent, ils sont attirés par un ensemble d’inconnues, ils veulent justement tenter le coup d’une accession à l’intérieur de ces inconnues, voir ce qui s’y passe, foutrent tout en l’air ou s’éclater. C’est plutôt ça. Ils sont peut-être forcément très idiots, très bêtes, très incertains, très communs. Ils n’ont rien de magnifique. S’ils deviennent magnifiques, c’est qu’ils existent à l’intérieur du cadre des photos Mais ils ne sont pas forcément des chevaliers. Ils peuvent devenir des exemples, « Faites le », « Faites le après le dîner» qui est le titre d’une mes pièces vidéo, mais ils ne sont pas des chevaliers. En fait ils ne sont les représentants de rien si ce n’est d’un moment actif de leur propre existence. Ils sont forcément en réaction, ils sont forcément en contradiction. Cette réaction et cette contradiction peuvent  être considérées politiquement. Ils sont des exemples d’êtres qui mettent en place une activité qu’on peut considérer comme phénoménale, mais au départ, moi, je ne sais pas ce que veut dire « déplacer les montagnes ».

Je ne sais pas si on l’a su

Pourtant c’est intéressant de déplacer les montagnes, et d’autres ont su le faire, les révolutionnaires par exemple. Je crois qu’il faut déplacer les montagnes, tout le monde d’ailleurs essaie, je crois, tous les jours. Alors, les hommes dans mes photos, ils le font eux aussi. Mais qu’est-ce qu’on voit ? Qu’est-ce qu’on est en train de voir ? C’est plutôt ça mon travail.

Alors est-ce que ce qui t’intéresse chez eux c’est, sans être péjoratif, une certaine banalité, de la même façon que tu introduis dans tes photos des éléments, du genre des sacs en papier, des sacs en plastique… Des choses qui semblent être sous la main ?

Au départ ils ne sont pas exceptionnels et peut-être, dans le cadre de la photo, ils le deviennent. Mais ils ne sont pas exceptionnels parce que personne n’est exceptionnel. Les objets sont comme les corps, leur réalité est claire, importante, ils sont à égalité des corps de ces hommes. Tout ce qui est sous ou à portée de la main est important, et certainement parfois essentiel.

Finalement ce qui t’intéresse chez eux c’est les histoires ? J’ai l’impression dans ce que tu en dis qu’il y a des histoires qui se construisent.

Je ne crois pas que ce sont des histoires pour raconter des histoires. Dans la performance existe ce qui a été appris, ce qui a été acquis, et ce qui est inventé. Forcément ce qui est inventé vient de ce qui a été appris. Certainement, à un moment donné, ce que l’on sait n’est plus suffisant, et à ce moment-là, on se met à inventer. Forcément mon travail est un travail sur la fiction. C’est la fiction de la performance, pas la part fictionnelle de la performance, mais vers quelle fiction la performance peut projeter celui qui la fait et ceux qui la regardent. En même temps, ce n’est pas du tout vers un monde différent, difficile, ou meilleur. La fiction est cette étrange nécessité que l’on a tous, vivre ailleurs ou vivre en ailleurs. Alors, inventer quoi ? Les hommes dans mes photos inventent forcément, mais moi je n’ai envie de donner que ce nom-là, l’invention. Je n’ai pas envie de donner un autre nom à l’invention. Ces inventions, je n’ai pas envie de leur donner un nom.

Tu ne veux pas dire qu’est-ce qu’ils inventent.

Ce qui est en train de se passer dans mes photos n’est pas si phénoménal que ça parce que nous passons notre temps à inventer. Tout le temps. On le fait constamment. Qu’est-ce que ça veut dire créer ? Est-ce que quand on dit créer, on pense forcément à Michel Ange ? Créer peut être absolument minimal, très petit, de très petites choses. Après il y a l’histoire du cadre de la photo, du film vidéo, de l’installation, c’est-à-dire toute la circulation de l’art. L’art produit des objets différents, utilisables seulement par les yeux et l’esprit. On peut penser que ce qu’on est en train de voir à l’intérieur du cadre est phénoménal.

La puissance de l’art c’est peut-être cette mise en scène ?

Ce n’est pas une histoire de mise en scène, c’est surtout une histoire de communication. Une autre communication.

Parce que ça montre ?

Oui, et qu’à ce moment-là on se met à parler.

Dans ton texte dans le volume coordonné par Lebovici sur l’intime tu parles à un moment d’exercices privés, qui devraient par définition rester dans le cadre du privé, donc pas être communiqués vers l’extérieur…

« Exercice privé » est un terme générique. L’exercice privé est  une action ou une réalité qui est alors partagée. Qu’est-ce que c’est l’exercice privé ? Comment ça se passe ? Est-ce que c’est se branler ? Est-ce que c’est se laver ou au contraire ne pas se laver ? Et en même temps, les exercices privés ça peut aussi être, en effet : qu’est-ce qui se passe, comment devient le monde pour moi quand je mets un truc comme une écaille sur mon visage ? Dès qu’on pense « C’est un exercice privé » on se dit « Voilà, qu’est-ce que c’est ? Est-ce que c’est arriver chez soi et mettre un slibard de La Perla avec le soutien gorge assorti ? ou bie, est-ce décider de construire dans son salon un sorte de tipi avec des tasseaux ramassés dans la rue et penser une occupation autre à l’intérieur de ce tipi à l’intérieur de son salon ? Tu vois, on dit « exercice privé » et tout à coup, voilà, on se chauffe un peu, on va avoir accés à des phénomènes peut-être ou sûrement interdits, en dehors d’un ordre établi, un peu compliqués. Parce que la sphère du privé est forcément attractive. En fait ce qui se passe dans mes photos sont en effet des exercices privés, les hommes pensent, veulent se voir actifs mais autrement, ils s’entraînent, ils jouent, ils s’inventent, et tout cela sans exemple. Ils engouffrent leur torse dans des sacs de tissu blanc, ils se couchent sur des lais de toile cirée, ils se transforment en sculpture vivante, ils se peignent les mains en bleu. Ce sont des exercices privés comme les autres, comme ceux auxquels on s’attend, loin de ce qui est dit normal. Parce qu’après tout, un homme qui porte des dessous féminins n’est pas si loin d’un consensus autour du comportement anormal. Et après, je le répète, si ces exercices à l’intérieur de mes photos risquent de devenir plus remarquables, c’est à cause du cadre de la photo.

Alors justement à Beaubourg tu parlais du cadre, disant qu’il n’y avait pas de hors champ, que toute l’information était dans la photo. Alors ça me semble intéressant que tu photographies des exercices privés, sans pour autant faire un travail sur l’intime, sur ta vie privée, et j’ai l’impression que tu travailles sur une espèce de passage du privé au public via le cadre de la photo.

Tout le travail se fait dans ce que moi j’appelle « le territoire de l’abstraction ». ce n’est pas un lieu mais plutôt une idée, peut-être celle du monde ailleurs, enfin là où tout se vérifie, les arcanes de ma propre histoire et celles d’une histoire plus universelle. Tout se vérifie et se transforme au gré des nécessités. Il y a forcément des passages entre ce qui est dedans et ce qui est dehors. Chaque information peut prendre une importance capitale sur le comportement, sur la sensation que l’on a de soi et de ce qui est autour de soi. Le regard s’inscrit dans ce territoire et cherche à voir, mais à voir ce qu’il n’a jamais vu, parce que le regard, qui finalement décide de tout pour moi, est prêt à perdre toute notion déjà connue et vérifiée. Là l’invention prend sa place, la communication évolue, l’inconnu devient accessible. L’invention reste possible, plausible, même s’il est parfois difficile de croire à ce nouveau pouvoir. Mais certainement comme dans un mirage.

Mais comme ça se passe ?

Si je raconte un peu, en 1991-1992, j’ai décidé d’arrêter tout ce que je faisais. En fait, je ne voulais plus rien faire de concret, je ne voulais plus travailler pour les autres par exemple, ne plus exister dans ce lien-là. Je me suis retrouvé alors dans un système que j’ai créé et où en fait je me voyais par flash. C’est comme si je passais et je me voyais à un moment donné et je repartais. Et j’avais une activité dans cette existence devenue difficile. J’étais très actif, j’inventais des situations, des lieux, je construisais un territoire qui n’était pas du tout fermé sur l’extérieur. Au contraire, je le voulais à l’intérieur de l’extérieur. J’ai commencé à faire des photos comme ça, pour voir sur la photo ce qui se passait. Je me disais que ce qui serait intéressant  serait de développer cette activité complètement performatrice, puisque je trouvais tout à coup que ma vie était une véritable performance. J’étais passé d’un état où j’avais tout à un autre où d’un coup je n’avais plus rien d’habituel, particulièrement plus d’argent et ce que rapporte l’argent. Avec une constante quand même qui était le cul. Que ce soit le jour ou la nuit, je passais et j’appuyais sur le flash. Je m’étais mis à récolter des ensembles d’objets, beaucoup de matière plastique, beaucoup de couleur, je les installais dans un ordre précis, qui collait à ce que je voulais comme espace. Puis, je convoquais des types que je connaissais, je leur racontais ce qui allait se passer, ils le faisait et j’appuyais sur le flash. Et voilà ce qui apparaissait comme une forme de visibilité en sous-sol qui passait par la lumière.

Une sorte de révélation au sens photographique.

Il y a une forme de révélation, ça c’est sûr. Où moi je serais prêt, à voir et à faire la photo, et où les hommes seraient prêts à faire ce qu’ils ont à faire. Je réfléchis, je pense les photos, je les monte avant de les faire. Ce qui explique aussi qu’il y en a pas mal où je suis, moi, parce que je suis pressé, et il n’y a pas un mec à côté de moi. Les petits compacts ont des retardateurs, et moi, je ne suis plus tout à coup celui qui fait la photo, moi, je suis comme les autres.

Finalement il y a pas d’importance de qui est qui dans chaque photo.

Non.

C’est pour ça que les visages sont souvent masqués ?

Non. Les visages masqués sont là pour être bien remarquables. On ne les voit pas et on les voit définitivement. On sait qui ils sont, ils sont en face de nous, ils nous observent, ils préparent des coups. Les types qui arrivent avec le visage masqué dans une banque, on sait qui ils sont, d’accord ? Les hommes masqués sont des hommes en lutte, quelle que soit l’intensité de la lutte. Il n’y a rien de sexuel dans cette histoire de masques. La sexualité est une réalité très claire chez moi, normale, je suis quelqu’un qui deale très bien sa sexualité. Si certains désirs se pointent je les vis vraiment et rapidement. Je ne suis pas confus avec le cul, et je ne suis pas un activiste du cul. La sexualité de toutes façons dans mon travail existe. J’espère avec un sentiment un peu pornographique. Mais les images où les hommes sont masqués sont des annonces politiques, un jeu avec ce type de démonstration, être vu définitivement.

C’est quelque chose d’étonnant parce qu’il y a une présence physique très forte de tous les hommes photographiés et en même temps on n’est pas en effet dans cette dimension là. Il n’y a pas de photos explicitement sexuelles.

Le sexe est un moyen de communication très précis, très intense bien sûr, on va chercher la mise en mouvement du désir loin en sois, on se prépare à être réveillé par un corps, une attitude ou un objet. Quand la présence du corps est un enjeu, la sexualité est présente sans que l’acte soit nécessairement mis en place.

Il y a toute une production de photos pornographiques mais que je ne montre pas parce que je ne sais pas encore comment les montrer. La pornographie est magnifique, dans le jeu avec la limite éclate tout le rêve du corps, son rêve de liberté totale, aveugle. Tout ordre explose, tout s’évacue, et l’image pornographique montre tout cela.  Je crois que j’ai plutôt envie de  montrer mes images pornos dans un circuit porno.

Mais que tu sépares.

Je les sépare parce que je ne les montre pas. C’est la première fois dans Dildo que je montre des images pornos mélangées avec les images habituelles que l’on connaît de moi. Mais par contre je suis exactement le même. Je cadre de la même façon. Je sais exactement ce que je veux. Je me trouve plus inventif. Parfois. Mais ça, je dis ça, parce que ça me fait plaisir de le penser. Surtout en ce moment.

Tu penses pas qu’il y a une carence en France par rapport à ça : comment on peut qualifier des photographies qui mettent en scène du sexe ? Si on les qualifie de pornographiques on a l’impression de les dévaloriser. Moi ça me pose un problème.

Si on prend l’exemple de Mappeltorpe qui trouvait la pornographie passionnante mais qui cherchait tout le temps la beauté, la réponse est trouvée. Que veut dire mettre en scène du sexe ? Montrer une queue qui bande, les fesses d’un mec penché ? Ou montrer deux types ou deux femmes faisant l’amour ? la mise en scène du sexe existe dans la photo d’une femme ou de deux femmes ou de trois hommes habillés, tout est là. Montrer le sexe directement, dans l’acte peut devenir une annonce une fois encore politique, tout dépend de l’endroit où l’on place l’image et comment on la place. Moi je trouve que l’image pornographique est la plus belle quand elle répond à l’espace qui lui est attribué par l’ordre, la petite taille du magazine qui rentre dans la poche du pantalon par exemple. Mais j’aime voir aussi les photos pornos de Mappeltorpe mélangées à celles des fleurs et aux portarits de gens célèbres, peut-être parce que toutes ont la même lumière.

Justement je me demandais ça, comment tu choisissais les modèles ? Tu disais que tu te photographiais souvent parce que tu t’es toujours sous la main, mais les autres, ceux qui se trouvent être parfois sous ta main ? 

Oui, ce sont des hommes qui sont de toute façon à un moment donné sous ma main. Je n’arrête pas des hommes dans la rue. Il y a des fois où j’ai envie de faire ça, arrêter des hommes dans la rue et leur dire, voilà, je suis artiste, j’ai envie de te photographier. Mais je ne le fais pas. J’y pense. ».

On en vient là. Je me demandais comment selon toi ça joue le fait d’être pédé dans le fait d’être artiste ? Au niveau de la création et aussi dans une dimension plus sociale, dans le monde de l’art contemporain ?

Je suis dans cette place là parce qu’on m’a mis dans cette place là de marginal, en tant que pédé. Même en tant qu’artiste aussi. Un jour je me suis rendu compte que la société me mettait dans cette place là, puisque la société ne favorise qu’un identitaire très petit bourgeois. J’étais différent. Il a fallu encaisser la différence du désir et après il a fallu encaisser la différence de la place du désir. À partir de ce moment-là le seul intérêt était de se servir, se servir de ce que la marginalité apporte pour vivre différemment, et donc s’en servir pour aller plus loin, voir et entendre plus loin, être définitivement différent. Moi je suis encore  en train de me demander comment me servir de cette marginalité. Je sais aussi qu’il y aura toujours un moment où la société va me renvoyer dans la gueule que je suis pd. Que ce soit la société en général, la société de l’art contemporain, la société de la rue, de ma rue. Et à ce moment-là il faut que j’aille plus vite, que je trouve quelque chose plus rapidement. Finalement ça m’intéresse beaucoup puisque j’ai eu la chance de pouvoir évaluer cette différence, la comprendre, mettre des comportements en place, tu vois, parce que j’ai pu le faire et que je continue à le faire. C’est vrai que mon homosexualité m’autorise simplement à percevoir le monde différemment, être plus clair, plus décidé pour des changements, plus au courant.

Sans pour autant s’engager dans une démarche revendicative.

Que serait qu’être homosexuel et avoir une démarche revendicative ? Une démarche revendicative partagée par tous ? Si on prend par exemple l’énigme terrifiante et tragique du SIDA qui a entraîné dès son apparition une vraie guerre chez les homosexuels, une guerre contre la non reconnaissance de l’épidémie comme fléau par la société sous prétexte que le sida ne concernait que les pd. Il fallait en tant qu’homosexuel  être conscient que c’était une guerre dont il s’agissait et pas une fatalité parce qu’on se faisait enculer. Il fallait être conscient de ça. Il fallait partagé cette conscience, il fallait revendiqué ensemble la prise en considération par les pouvoirs publics de la gravité du fléau. Il fallait se battre. Mais cette revendication particulière, elle est à mettre au niveau de toutes les autres revendications, quelles soient d’ordre homosexuelles ou non. Et c’est de politique dont il est question. Voilà ce qui existe dans mon travail.Je suis un homme, pédé, artiste,  et ce qui est dit dans mon travail contre l’oppression, la censure, la non reconnaissance des droits de tous les hommes, de tous les pédés, est partageable par tous.

Quand je parlais de revendication j’entendais utiliser cette position qui est inévitable. On peut pas faire semblant. Et pour autant ne pas mettre sa démarche au service d’une espèce de cause commune.

Non en effet la démarche, au départ, elle a, disons, une apparence marginale et ce qui est intéressant c’est quand cette apparence devient universelle, c’est-à-dire peut être partagée par tous parce que ça provoque chez tout le monde un ensemble de réactions communes. Dans une interview que j’avais fait avec Elizabeth (Lebovici) pour Têtu, je disais « Ginzberg est pédé, il écrit comme un pédé,  mais en fait il écrit pour tout le monde. Donc tous les pédés ne peuvent pas être fixés comme des fous par Ginzberg, ne peuvent pas considérer Ginzberg comme leur apôtre poétique révolutionnaire, apôtre de la liberté, de la lutte contre un pouvoir militaire, moralisateur à l’extrème. Est-ce que Ginzberg a écrit d’abord pour tous les pédés et après pour tout le monde ? Et qu’est-ce qui se passe pour tout le monde ? Est-ce que c’est d’abord les pédés qui ont connu Ginzberg et après tout le monde ? Est-ce que ce n’est pas l’inverse ?  Moi personnellement je considère que Ginzberg, s’il a écrit comme ça, c’est parce que c’était une grosse pédale. Alors la revendication là-dedans ? Et dieu sait si Ginzberg a revendiqué ! Bon, aujourd’hui, que revendiquent les homosexuels ? On entend les gnes, les autres, dire : « Voilà les pédés, avant les homos ils voulaient qu’on les considère comme des êtres vivants, et bien maintenant, ce qu’ils veulent, c’est adopter des enfants ». Il y a vingt ans, vingt cinq ans, ce que les homosexuels voulaient, dont moi, c’était qu’on arrête de nous arrêter parce qu’on était pédé. Moi j’ai été arrêté quand j’étais très jeune parce que j’ai commencé à baiser très jeune. Ëtre homosexuel était un délit. Ça m’est arrivé d’être arrêté deux ou trois fois dans des lieux de drague à Marseille, à seize ans dix-sept ans. En plus je fréquentais le FHAR, tout le barda, Donc les pédés se sont battus pour qu’on arrête ça, c’est-à-dire pour qu’on reconnaisse le droit à l’homosexualité chez les jeunes gens. C’est Mitterand qui a abrogé le délit d’homosexualité. Maintenant, Que serait une véritable revendication homosexuelle politique très précise ?  On a plus à se battre contre le délit, enfin, peut-être pas de la même façon,  alors on se bat pour adopter des gosses. Mais ce désir d’enfant chez les homos est   encore lié à une histoire de quotidien, comme à l’époque, avoir la liberté de vivre son homosexualité était aussi liée à une histoire de quotidien. La société dans son ensemble a changé, les homos désormais veulent la liberté d’adopter des enfants, c’est tout. Moi, je ne crois pas que la liberté des homosexuels soit vraiment acquise. Dans la réalité, il est interdit par la loi de refuser de louer un appartement à deux mecs un appartement parce qu’ils sont homosexuels. Et pourtant, cela se passe souvent. Est-ce que deux types qui ne peuvent pas louer un appart parce qu’ils sont pd réagissent ? Alors, qu’est-ce que c’est la revendication ? On est pas en Egypte, on est pas en Iran. On est pas dans des endroits où les mecs meurent parce qu’ils sont pédés. Alors qu’est-ce que ce serait la revendication, en fait ? Je crois que c’est en terme plutôt de sens. Le sens du projet homosexuel. Moi, personnellement, je crois, j’en suis sûr, que ma marginalité ne me sert pas à vouloir adopter un enfant mais me sert simplement à ne pas être d’accord et à continuer à soutenir le fait que je ne sois pas d’accord par rapport à des réalités qui sont pour le coup partageables par des homosexuels et  à la fois partageables par tout le monde.

Tu penses à quoi par exemple ?

L’actualité. Dans ma jeunesse c’était très compliqué d’être pédé parce qu’il y avait les flics, parce qu’il y avait la loi, parce qu’il y avait ceci et cela, parce qu’un gamin de seize ans pouvait pas dire simplement je suis pd. Mais, aujourd’hui, je suis pas très sûr qu’un gamin de seize ans puisse dire « Moi j’aime les hommes » ou « Moi j’aime les femmes », « Je veux avoir des relations avec des hommes parce que je suis un homme », « Je veux avoir des relations avec des femme, parce que j’aime les femmes ». Je crois pas que ce soit plus simple aujourd’hui, parce que la société nous ment. On nous fait croire qu’en fait tout va bien pour les homosexuels. Quand on voit les statistiques sur les jeunes suicidés, on voit qu’il y a beaucoup d’homosexuels filles et garçons. On parle beaucoup d’homosexualité à la télé, on montre même une image de l’homosexualité assez paradisiaque, autour de la liberté de s’amuser, des rencontres faciles, etc Alors si c’était si cool que ça, il n’y aurait pas autant de jeunes lesbiennes et de jeunes pd qui feraient des ts liées, d’après ce qu’il est dit dans les rapports, à l’annonce ou à l’impossibilité de l’annonce de leur homosexualité. De quelle revendication parle-t-on ? Dans mon travail, ce qui est revandiqué est la liberté de vivre toutes les expériences en paratnt de sa propre expérience, de s’imaginer différent, actif,

Tous les parents continuent à élèver toujours leurs gosses en pensant qu’ils seront hétérosexuels. Et il faut toujours que ce soit les pédés, les lesbiennes qui sortent du placard.

Pour les parents, la différence est très difficile à concevoir. Elle fait tout exploser. Et puis il y a eu des siècles d’homophobie dans les pratiques populaires, culturelles. On ne peut pas les gommer. C’est dans notre culture. Cela se passe comme ça, dès l’école maternelle. Le refus du face à face avec l’autre qui est différent est viscéral, cette peur de la différence est viscérale. On peut se battre contre ça,  mais vraiment se battre encore pendant des siècles.

 

Lutter ne me révolte pas, je le fais quand je sens que je dois le faire. J’ai compris très jeune que c’était comme ça, qu’il fallait, non pas que je  dépasse la contradiction, non pas que je vive avec, mais qu’il fallait simplement que j’affronte l’obscurité. J’ai eu de la chance aussi parce que l’obscurité m’excite. Donc moi je suis pas véritablement un exemple.

Il n’y a pas d’exemple. Tu n’es pas un exemple mais je pense que de toutes façons personne ne l’est.

Non. À propos de la revendication actuelle des homosexuels, quant à l’adoption, les choses comme ça, c’est dans le cours des choses. C’est pas moins vibrant ou moins révolutionnaire. C’est pas la mienne. Et je sais aussi que pour pas mal de jeunes homos ou lesbiennes, cette revendication n’est pas la leur, qu’ils veulent vivre leur vie en dehors des exemples.

Oui parce que il y a quelque chose d’une revendication d’égalité, d’absence de discrimination, dans le fait de demander le droit à adopter des gosses. En effet moi je m’en fous personnellement. Ceci dit je considère que c’est légitime d’un certain point de vue.

Je ne sais pas. Je ne trouve pas légitime le désir d’enfant, parce que j’ai d’autres préoccupations.

Mais de vouloir faire comme les autres, pourquoi pas ?

C’est plus réconfortant de croire que parce qu’on donne la vie ou parce qu’on s’occupe de l’éducation d’un enfant, sa propre vie est plus claire, plus occupée, normalement plus occupée. Moi je suis le fils de personne et je suis le père de personne. Moi je suis un homme célibataire même si j’ai un mari depuis dix ans etc. Mais je suis un homme célibataire parce que je suis pédé. Voilà, je suis un homme célibataire parce que je n’ai pas d’enfant. C’est tout. Et si je n’ai pas d’enfant c’est parce que je suis pédé. Donc je suis un homme célibataire et je vais mourir célibataire.

Mais si certains veulent vivre comme des hétérosexuels… Même si c’est pas ton choix ni le miens d’ailleurs…

C’est pas une histoire de choix. Ce choix existe peut-être quand on est hétérosexuel parce que les hétérosexuels pensent, à des moments de leur vie qu’ils n’ont qu’a faire des enfants, ils ne vivent qu’au travers de ce choix. Moi je dis « je suis célibataire » parce que je n’ai pas d’enfant. Si je suis un homme célibataire c’est bien parce que je suis un mec homo. Je me sens très uni avec mon mec, mais je me sens très uni comme un pédé. On ne veut pas être un couple de mecs hétérosexuels. On veux profiter du fait qu’on est deux hommes et les hommes, c’est comme ça, toujours la bite dehors. Notre échange est basé sur notre réalité d’hommes, notre sensibilité d’hommes. On se fout d’être considérés comme un couple dans l’image hétérosexuelle du couple. On n’a pas besoin de concentrer notre amour sur la présence d’un troisième, ou alors il faut que cette présence soit celle d’un adulte, ce qui est plus intriguant. Les homos en couple qui veulent avoir la même considération que les hétérosexuels s’activent pour y arriver, je leur souhaite bonne chance.

On en vient peut-être à ce que Foucault avait essayé de formuler à son époque sur les modes de vie, les modes de vie spécifiques, les modes de vie gay.

Il faut signaler qu’à l’époque de Foucault, un mode de vie ne pouvait être que différent, donc contradictoire à l’ordre, donc sujet de réflexion pour un autre comportement universel.

Finalement on n’a jamais trop su comment s’en dépatouiller de ces histoires là. Moi quand j’ai découvert ça il y a un an ou deux, ça me semblait pas mal. Plutôt que l’adoption… Enfin le truc de Foucault c’était un pédé de cinquante ans qui adoptait un pédé de vingt-cinq ans qui lui transmettait ses thunes quand il en avait, et puis son savoir.

C’est une possibilité, il y en a des milliers pour les homos, ils n’ont qu’à choisir, inventer leur vie.

 

JE N’EN PEUX PLUS

Justement on peut peut-être se demander : qu’est-ce que ça fait cette liberté qu’on est supposés avoir gagnée ? En effet il y a un nombre d’heures où il est question d’homosexualité à la télévision, mais finalement jamais on n’aura publié les chiffres du nombre d’heures où il a été question d’hétérosexualité à la télé parce qu’il est tout le temps question de l’hétérosexualité à la télévision.

La télé est hétérosexuelle. La vision de l’homosexualité à la télé est hétérosexuelle. La télé ment presque tout le temps, à propos de tout. La télé dit que la vie homosexuelle est follement gay, mais dit aussi, peut-être un peu moins fort, que les homosexuels sont des gens qui veulent et peuvent donc élever des enfants, des gens qui, surtout des femmes lesbiennes d’ailleurs, qui peuvent se battre pour élever leurs enfants. La télé ne dit pas que des jeunes vont  faire le test HIV tous les mois ou tous les quinze jours, ne pose aucune question, à quoi jouent ces jeunes, est-ce que le sida est un problème réglé pour eux ou est-ce un jeu avec la mort ? Le sida n’esil pas devenu le seul interdit ? Il y a des réalités, en ce qui concerne la vie homosexuelle, quine passent pas à la télé. En même temps moi j’ai confiance. Nous on ne rêvait que d’une seule chose c’était de nous casser de nos milieux, particulièrement familial. Ce qui est plus du tout le cas. Ça aussi ça a changé. D’ailleurs si les pédés veulent adopter c’est qu’ils veulent pas se casser, partir. J’ai confiance en ça : je pense qu’il faut pas avoir peur, il faut se casser, il faut la vivre cette vie. Moi dans mon travail, je crois que l’homosexualité, elle existe et elle devient, là pour le coup, oui, un exemple de tentative. Même à la limite un exemple de vivre les tentations, des tentations qui sont pas forcément homosexuelles pour le coup, des tentations sexuelles. Ou alors peut-être de vivre des tentations sexuelles mais alors de vivre des tentations sexuelles comme un terme générique. Vivre l’expérience de son corps. Là aussi c’est fou ce qui est en train de se passer. De toutes façons en France on s’américanise à propos de tout. C’est-à-dire c’est plus le corps qui est ressenti, c’est le corps qui est montré. C’est le corps qui fonctionne bien. Tu vois, tu as pas la chiasse, tu as pas la peau grasse et puis tu es musclé, tu es en forme, tu es mince. C’est le corps qui est montré, c’est plus le corps qui est ressenti. Qu’est-ce que c’est dans la réalité : trente-cinq ou quarante pour cent des adolescents ont vingt kilos de plus que leur poids normal. C’est ça la réalité et c’est là où il faut travailler, c’est entre ce qu’on nous fait croire et ce qu’est la réalité. Je crois que c’est ça qui est plus grave et donc plus intéressant. Mais qu’est-ce que c’est qu’on nous montre ? On nous montre un corps qui est montré mais pas qui est ressenti, qui se ressent. C’est fini ça. Si vous mangez bio c’est pour bien chier et comme ça vous allez être tellement bien, tellement propre. Hein, non ?

Oui. Tout à fait. C’est marrant parce que de cette question, du corps hygiénique, du corps sportif, y’a quelque chose dont on a du mal à se sortir. Quand on est jeune par exemple, à vingt ans, vingt-cinq ans, trente ans, c’est difficile de se sortir de ça. Parce qu’il y a une espèce de consensus sur le corps, sinon sain, du moins beau.

Parce que, en même temps, ce n’est plus le corps du désir. Alors c’est le corps de cet effort là parce qu’il faut faire un effort pour avoir ce corps là. Et c’est pas du tout sûr que les jeunes comprennent, qu’il faut faire un effort. La notion d’effort chez les jeunes ça a l’air aussi compliqué. Avant nous on nous disait tout le temps « La vie est un effort ». Mais en tous les cas c’est plus le corps du désir.

Moi je pensais à ça en rapport à internet, à la drague sur internet, qui me semble un truc normalisant et incroyable.

Mais en même temps qui est l’endroit le plus chaud. Quand on arrive à rencontrer des mecs, pour le cul le plus cul, c’est par internet qu’on rencontre les mecs les plus chauds. Quand on arrive à les rencontrer.

Voilà.

Je sais pas quelle est ton expérience quant à ça mais ça c’est très étrange. En même temps nous on est à Paris alors c’est un peu différent parce que Paris c’est une succession de lieux qui sont très favorables pour le cul.

C’est une espèce d’immense bordel à pédés finalement.

Quand on arrive à rencontrer les types. Enfin ce n’est pas très vrai puisque nous on est officiellement très chauds, alors que ce soit au Keller ou sur le net, de toutes façons c’est très chaud.

Y’a plusieurs choses. Y’a ceux qui se planquent derrière leur écran. En tous cas en province c’est comme ça. Je crois qu’il y a quatre-vingt pour cent des mecs qui se planquent derrière leur écran, c’est pourquoi ils sont pas au bordel, ils sont derrière leur écran. Ensuite j’ai l’impression qu’il y a un truc comme ça d’hygiénisation. Faut être comme ci, faut mesurer comme ça, faut être musclé, faut avoir une bite qui fait ça, si elle fait pas ça, elle est pas bien.

Oui mais ça, en même temps, pourquoi pas finalement l’accepter et l’assumer ? Je veux dire c’est vrai, un mec qui a un beau cul et une belle bite, c’est quand même mieux qu’un mec qui  a pas de cul et qui a pas une belle bite. Mais c’est pas tellement ça. Moi ce que j’ai vu apparaître chez les homosexuels c’est une forme de morale. Particulièrement chez les anglo-saxons d’ailleurs. Là on m’a passé un bouquin de Bruce Benderson. Je trouve ça archi moralisateur. Parce que il faut laisser les choses à leur place. On a pas de web cam et on va en acheter une parce que ça suffit, il faut participer à ça aussi. Voilà un phénomène totalement queer pour moi. Même si les hétéros s’en servent, je me dis, finalement, c’est parce qu’ils copient les homosexuels.

Ce que je trouve moi par exemple dans ces histoires de web cam, l’internet ou les photos qu’on s’envoie etc., ça je trouve que c’est parfaitement quelque chose de très queer. Parce que c’est magnifiquement naïf. Alors exemple. Je veux faire des collages en ce moment avec des mecs à poils mais j’y arrive pas. Alors tu regardes Honcho. Alors en plus dans Honcho il y a des choses qu’ils font, ils ne se rendent pas compte ou ils s’en rendent compte mais je sais pas pourquoi ils font. Ça c’est incroyable la mise en pages comme ça. La bite comme ça c’est incroyable. Alors tu vois ça et après tu regardes les petites annonces. C’est ça qu’il faut faire, toujours faire ça. Regarde. Tu as vu le mec, il refait, il est là dedans. Alors il est là, chez lui ou pas chez lui, et il refait. Moi je regarde ça et je me dis… Et puis ça. « J’aime les panards ». C’est « Toutes régions. Beaux mecs. Fétichistes des beaux pieds. Deux mecs cherchent idem pour contacts, échanges photos et plans à plusieurs ». Moi, j’adore ça. Je me dis « Putain, c’est presque une photo GTS en plus ». En même temps, regarde ce qu’il envoie lui. T’as envie de lui écrire à lui ? Ou à moins que tu sois tordu. Mais enfin « très sportif », « sensuel », tu vois ? Moi j’adore ça. Ça c’est une invention qui est absolument phénoménale. Tu baises avec un type. Tu baises, t’es avec ton mec. Comme j’ai fait. On a fait ça chez des potes, on était à trois et on s’est fait un plan à trois avec des types de Dublin. C’est absolument incroyable. Et ça devient, alors là, pour le coup, comme une fiction. Et c’est ça qui est intéressant. C’est-à-dire ce qui est intéressant dans la pornographie c’est le moment. Si je dis que moi par exemple dans mon travail peut-être il y a aussi quelque chose de pornographique, c’est, justement, y’a pas d’avant et d’après, y’a un moment. Le cadre installe quelque chose. Ça n’a rien à voir avec plus ou moins la nudité ou bien des morceaux de corps que l’on peut voir dans mes photos. Mais y’a un moment comme ça. Il y a ce moment là et pour moi, tout à coup, c’est là où la pornographie apparaît. Et dans ce moment là, en effet, il n’y a plus de contingence. Il ne peut plus y avoir de contingence qu’une histoire de corps, d’appel du corps. C’est un peu compliqué ça quelque fois à mettre en place.

J’ai l’impression que le propre de la pornographie et des plans organisés via internet, le téléphone etc. c’est que c’est scénarisé.

On fait le scénario. On l’écrit pas, on le fait.

C’est vrai que là il y a des déplacements intéressants. Ce qui me pose problème c’est une sorte de glorification. En fait ce qui me pose problème c’est tous les trucs unilatéraux.

Je le sens pas. Au contraire je sens plutôt comme ce type là… Mais ça ça a toujours été aussi un peu les homos. Y’a trente ans y’avait des homos qui disaient « Ah, les homos veulent se faire remarquer, les homos veulent se montrer ». En général c’était dans la bouche de mecs qui n’avaient plus vingt ans ou vingt-cinq ans. Je crois qu’au contraire ce qui se passe c’est que finalement ce sont des moyens d’invention complets qui m’intéressent, parce que ça m’attire terriblement, je suis très attiré par ça. Je suis très attiré par la pornographie mais dans son contexte, pas dans son idée. Je crois que ce qui m’intéresse dans la pornographie, c’est la pornographie, pas l’idée de la pornographie. C’est peut-être pour ça qu’il y a un fond un peu pornographique dans mes photos. Je suis attiré par la réalité de la pornographie mais pas par son idée. L’idée ça m’intéresse pas. Réfléchir sur la pornographie.

Ce que tu entends par là c’est : qu’est-ce qui se passe quand il y a pornographie.

Oui. En art la grande réussite artistique c’est l’expérience de Jeff Koons par rapport à ça. Ces images, qu’on avait l’habitude d’avoir dans la poche, tout à coup se retrouvent en très grand formats, avec la vraie mise en scène, comme si la pornographie ne pouvait être que mise en scène. Alors là c’est une proposition artistique parce que, dans la pornographie, ce qui est intéressant, c’est quand la mise en scène est la plus popu possible, la plus vulgaire possible. Y’a rien de plus beau que des histoires de mécanicien. C’est ça qui devient magnifique. Donc moi c’est plutôt la réalité de la pornographie que son idée. J’ai rien à dire sur la pornographie. Parce que tout le monde sait fort bien qu’on en a besoin, enfin, que les hommes en ont besoin en tous les cas.

Je m’étais dit pourquoi pas discuter de ces histoires de drague. Est-ce qu’on remet le couvert à ce sujet ? Par exemple, c’est quoi ton mode de drague préféré ?

Depuis quelques années le bar bordel. Moi je vais beaucoup au Keller ou au Glove. Enfin les endroits un peu comme ça. Plus le Transfert parce que c’est plus possible pour moi de suivre. Je ne prend plus rien alors c’est plus possible pour moi de suivre. C’est pas la peine d’entrer dans un endroit où tout le monde est sous ecstasy. Parce que je trouve magnifique cette possibilité que les mecs ont d’entrer et de se foutre à poils et même si ils baisent pas, l’histoire c’est d’être à poils entre mecs. J’ai quarante-huit ans, j’ai commencé à baiser à douze ans et c’est comme si je découvrais ça. Je trouve ça magnifique. La rue c’est un peu différent parce que maintenant j’ai un problème de vue. Je vois plus très bien si on me regarde. Mais j’ai beaucoup aimé la rue. Mais maintenant c’est aussi un peu différent parce que je crois qu’on aime beaucoup la rue quand on est plus jeune.

Je sais pas si ça se fait encore. Enfin c’est très rare maintenant.

Le bar c’est un peu compliqué. C’est-à-dire c’est à la fois un endroit de pédés et en même temps c’est quand même devenu un peu plus social, c’est-à-dire la rue est entrée un peu plus. Avant dans les bars pédés, y’a dix, quinze ans à Paris, c’était quand même très fermé. Même si c’était, par exemple, le Central, avec cette espèce de pseudo visibilité. Moi je crois que ma méthode de drague préférée c’est le bar bordel. Je crois que c’est l’endroit où je me sens le mieux. Même si je baise pas forcément. En même temps au Keller justement y’a pas de backroom. C’est comme au Glove. Y’a pas d’endroits sombres. Tout est dans la lumière. Tout est éclairé donc on peut pas considérer ça comme étant uniquement des bordels. J’aime beaucoup le sauna. Ce que je trouve d’intéressant parce que c’est produit par la société ça finalement et parce que c’est ma génération, c’est-à-dire tout ce qui était l’anonymat. A Marseille y’avait un petit sauna, mais vraiment c’était un mouchoir de poche, sur deux niveaux, mais c’était vraiment petit. Disons en tout quatre-vingt mètres carrés. C’était une espèce de truc hallucinant. Mon dieu c’que c’était bon. C’était entrer dans son désir. Après quand j’ai découvert les grands saunas, à Paris et à New-York, j’aimais bien aussi ça, le côté grand, grosse organisation. Même si à New York je préférais les saunas plus underground. Parce qu’il y en avait une kyrielle de saunas très underground, très sexe, très sexy, vraiment la moquette pourav, les estrades avec des sièges autour. Y’avait des mecs, leur trip, c’était de baiser devant les mecs. Tu t’asseyais, tu te branlais, tu voyais des mecs en train de baiser. Enfin des trucs hallucinants. Ça j’ai beaucoup aimé et tout ça anonyme, dans l’anonymat. Parce que la société proposait ça.

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