Georges Tony Stoll

Georges Tony Stoll

Charles-Arthur Boyer

Le Printemps de Cahors

14 juin – 7 juillet 1996

ARC/musée d’Art moderne de la Ville de Paris

3 juillet – 22 septembre 1996

 

Il serait trop rapide de juger la photographie chez Georges Tony Stoll comme étant de l’ordre du documentaire, du récit autobiographique ou de la peinture de la vie quotidienne (ce qu’illustrent, par exemple, les travaux de Nan Goldin, de Larry Clark ou de Jack Pierson) ; on pourrait, en revanche, et avec plus de justesse, la considérer comme appartenant au registre de la convocation. Une convocation première de l’artiste lui-même vis-à-vis de sa place, de son existence et de son rôle au sein du réel qui nous entoure, et que l’acte photographique dénote, reflète ou transmet. “Il n’y a aucun refuge contre la terreur. C’est ce que je me dis tous les jours. C’est pourquoi je travaille.” C’est là son exigence d’artiste. Et une convocation seconde, tendue au spectateur, et portée par les tirages en grand format de prises de vue en couleur et à l’Instamatic de moments domestiques et d’actes ordinaires qu’il nous présente comme œuvres. C’est là son audace et sa désobéissance artistique : nous mettre au pied du mur (comme l’on est au pied de ses photographies) de son impossibilité à faire “une image juste”, et à nous en proposer que “juste une image” désarçonnée et maladroite mais nécessaire et décisive parce qu’emplie de cette relation au monde qu’il tente de maintenir d’une façon maniaque, démesurée autant que dérisoire. Rugueuses et abrasives, en dérapage permanent, toujours hors champ et au-delà des marges, ses images photographiques sont ainsi habitées par un manque, une incomplétude constitutive ; non qu’elles seraient de l’ordre du ratage, mais parce qu’elles appartiennent à une résistance quotidienne pour ne pas sombrer, pour ne pas faillir, pour ne pas lâcher prise, à une victoire sur l’improbable de l’existence et de la relation à l’autre. “Il y a toujours et encore une tentative à nous interdire d’être vraiment dans notre corps. Il faut le savoir, et montrer ce corps dans sa vérité, pour pouvoir s’opposer à toute contrainte. Je voudrais que lorsqu’on voit un corps dans une de mes photos, on voit son intérieur, l’intérieur de ce corps ; et que celui qui regarde ce corps entre et regarde aussi dedans.” Et dans cette plongée presque en apnée dans le corps de la photographie de Georges Tony Stoll et dans les corps des hommes qu’il photographie, il nous faut s’accorder à la première pour mieux apporter aux seconds le geste et le souffle qui semblent leur manquer afin de remettre en circulation la parole et l’échange, comme une réponse vitale à l’intensité et à la volonté qui les animent. L’échange d’un voir plutôt que d’un savoir qui serait une conscience et recueillement de l’autre, au delà de toute vérité, de toute terreur, et hors de toute contrainte.

(Article paru dans ArtPress, 1996.)

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