Georges Tony Stoll

Dirty presents – 1996

Dirty presents - 1996

 

J’ai fait cette pièce par hasard. Ce dont je me souviens par contre est d’avoir eu besoin de la faire à ce moment-là. J’étais sur la plage en Camargue, près de l’embouchure du Rhône. Dans la journée, j’avais ramassé des objets, des détritus, dont certains morceaux apparaissaient dans le sable mouillé, comme de drôles de taches de couleurs laides. Lorsque je tirais ces morceaux, apparaissaient donc ces objets qui avaient voyagé dans le fleuve, passé un moment dans la mer avant d’être rejetés sur la plage lors des tempêtes d’hiver. Comme si tous ces restes ne pouvaient exister définitivement que sur la terre ferme.

J’ai fait plusieurs photographies avec les objets, et il est vrai que dans le cadre, ils se sont transformés en choses qui pouvaient alors avoir une certaine relation avec moi, mes choses peut-être. Représentantes tout à coup de l’homme que je pouvais être, un découvreur, un enquêteur, un explorateur, que sais-je. Un collectionneur de restes d’une consommation qui est toujours inconsciente de ses méfaits, voilà qui pouvait devenir un sujet de recherche.

Les humains ne sont que des enfants jamais rassasiés, toujours plus capricieux, sans affect avec ce qui les entoure. Ils sont tenus par un drôle de besoin aveugle, perpétuellement gonflé par la bizarre nécessité de se servir un moment de tout un bric à brac et de l’abandonner une fois vaguement rassasiés. Pourtant, ces déchets les plus communs du monde, charriés par l’eau d’un fleuve, refusés par une mer qui doit savoir faire le tri, se retrouvant là à demi enterrés dans ce sable grisâtre, appartenaient encore à ceux qui les avaient oubliés. Des choses vociférantes qui appartenaient désormais à une nature vendue depuis longtemps aux profits les plus mercantiles.

Tout cela devait m’apparaître au moment de cette fin de journée, en face d’un crépuscule aride lui aussi, les pieds enveloppés dans la présence vaguement inquiétante de ce qui était devenu en effet ma collection de présences mystérieuses

La série de photographies a été faite très rapidement, il fallait se dépêcher, bientôt la nuit totale allait tomber.

Ce dont je me souviens tout le temps est bien que je suis ailleurs et cela sans effort. Parfois, ce que je remarque autour de moi me sert à produire un effet qui doit en premier lieu m’illuminer. De cela, j’en suis de plus en plus certain. À ce moment-là sur cette plage, je voulais voir ce que je donnais de moi-même dans une  actualité pareille, une plage où je vivais nu, un crépuscule qui reste pour beaucoup une énigme, et la complicité immédiate de cette armée de déchets. Tout est à définir autrement. Surtout lorsqu’on a rien à dire sur l’état des phénomènes qui nous poursuivent tout le temps.

Peut-être est-ce aussi un moyen de rendre accessible la part maudite de ces phénomènes, la rendre presque attirante. Après tout, cet agencement de squelettes possède un certain caractère convivial, la farandole de ces détritus est joyeuse dans la luminescence du flash, le Diable a gagné.

Peut-être alors, il s’agirait seulement d’images autobiographiques. Où que je sois, quoique je vive, je ne suis jamais seul, je trimballe incessamment tout un attirail de squelettes. Et le hasard a bien joué son rôle tout à coup, ces squelettes en question sont en couleur, jaune, rose, rouge, bleu, comme un éventail de personnages qui ont traversé mon existence. Ils sont présents là, au moment de ce crépuscule, et je suis vaincu.

Mais je peux être aussi satisfait de cette collaboration. Après tout, je suis libre de me faire accompagner par ceux que j’ai choisis, comme les preuves de mon attention particulière à tout ce qui est jeté ou rejeté par l’attraction du sacré. Je serais alors un gardien étrange qui sait parler de l’impossible comme le témoignage d’un autre monde justement.

La pièce photographique est en face, silencieuse et bruyante. Elle se donne à voir, dans un vertige qui ne peut avoir de nom unique.

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