Georges Tony Stoll

Collages

J’ai commencé à faire des collages lors de mon séjour à la Schloss Solitude à Stuttgart  en 2004. J’avais été invité par Hans Ulrich Obrist mais en tant qu’écrivain et non en tant qu’artiste. Je dessinais beaucoup, j’écrivais aussi (une pièce radiophonique Pink Odyssée), surtout à partir de mes photographies qui trainaient sur la grande table de travail, mélangées donc aux dessins. Un jour, à la gare de Stuttgart, je suis tombé sur un rayon de magazines homosexuels et j’ai remarqué qu’ils étaient bien différents de ceux diffusés en France, je trouvais qu’ils possédaient une vraie convivialité érotique, une liberté simple à offrir aux lecteurs des images de corps nus d’hommes.

Je ne me souviens plus par quelle idée j’ai eu envie d’associer ces corps à l’intrigue des figures de mes dessins. Je me suis mis à découper ces corps de leur page glacée, je me suis mis à leur couper la tête, les mains, les pieds, dans un jeux sadique peut-être ou simplement pour jusqu’à obtenir un tas. Et après, le choix d’un dessin et de ce qui n’était plus qu’un morceau corps et trouver ce qui peut apparaître comme un arrangement entre les deux.

 


Autistic dream 20, 16, 6 – 2004

 

J’ai produit 33 collages dans l’espace de peu de temps, certainement attiré par l’exploit de ce qui n’était qu’un jeu. Lorsque je les ai vus tous ensemble, j’ai pensé à des images de rêves, des morceaux de rêves, et sans chercher les annonces que ces morceaux proposaient, j’ai préféré l’idée simple de la bizarrerie, comme l’on dit « c’est bizarre » après avoir raconté ce que l’on a vu dans son sommeil. Le titre AUTISTIC DREAM est venu très vite, il est sûr que ceux atteints de  troubles de comportements caractérisés par une interaction sociale et une communication anormales, avec des comportements  restreints et répétitifs (définition), rêvent. Une histoire de perception fragmentée et aigue de la réalité qui existe aussi en dehors du symptôme.

 

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Autistic dream 31, 12, 18 – 2004

 

Le besoin inné de toujours revenir à la base du médium artistique, ce retour au support, retour aux conditions objectives de l’entreprise, est en effet une obsession moderniste. La vision ne doit jamais négliger cette tâche. Elle doit constamment réaffirmer comment les données physiques du support de l’image – de la planéité de la feuille à sa forme rectangulaire – reflètent les traits essentiels de la visualité même : sa simultanéité, sa réflexivité. Il ne faut pas céder à l’illusion de transparence, il ne faut pas se laisser aller. Les quatre coins de la feuille sont plus qu’une simple limite physique. Ils sont posés en prémices logiques. Ils sont les conditions du possible. De la même façon que les relations logiques fonctionnent entre les quatre coins du groupe de Klein des structuralistes duquel un système entier peut être dérivé, les quatre coins de la feuille construisent un cadre qui à la fois génère et contient un univers.

Rosalind E. Krauss, L’inconscient optique

 

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Abracadabra 6, 7, 8 – 2011

 

Je ne me souviens plus pour quelles raisons exactes j’ai recommencé à faire de collages, certainement un jour submergé par les tas de photographies sur la table. Je me suis mis à découper dans les photographies les corps, les objets, les formes, les architectures jusqu’à former un tas une fois encore, un tas de morceaux, un tas d’actions, de mouvements,  de moments, et en effet la limite de la feuille de papier devenait l’endroit où ces morceaux devaient être montrés, enfermés dans cette limite, créant un espace devenu particulier, tout à coup presque au centre de l’espace universel. Je me suis mis à coller ces morceaux en ne cherchant pas vraiment à construire une composition, mais seulement à proposer une forme d’équilibre dans ce qui n’était plus qu’un regroupement de moments, certainement en souvenir de la destinée libre  des collages dada. Ces instants arrêtés devaient mettre la vision en mouvement, le regard circulant d’un morceau à l’autre, cherchant à les lier au sein d’une histoire commune, qui n’était finalement que celle de ce qui était devenue une œuvre.

Atmosphères n°3

Il y a la multiplication incessante des images qui finalement bombardent nos esprits d’informations très vite oubliées, dans un bruit souvent terrifiant, un tintamarre de sons plus ou moins sophistiqués ou de paroles tronquées grossies comme des rappels à l’ordre. Je ne me sens pas poursuivi, je regarde, j’entends, je fais un tris, je ne cherche rien de particulier dans ce qui n’est qu’un fatras produit que pour forcer toutes sortes de consommations. Les images que je peux trouver les plus intéressantes sont celles qui sont les plus absurdes quand à la construction d’un monde enfin merveilleux.

Dans les collages du début de l’année 2011, je voulais faire des sortes de catalogues avec ces morceaux de photographies, ces morceaux de ce qui n’étaient plus que des morceaux de machines, comme une version absurde ou carrément schizoïde de l’image du corps humain et ses alentours.

À l’intérieur de la feuille de papier, il y a aussi une version de la machinerie du Cut-Up de Burroughs, créer une image à partir de fragments d’autres images, une image sans cohérence logique et qui offre une perception plus intuitive d’un environnement aux stimuli absurdement agressifs. La question n’est plus de savoir qui nous sommes mais plutôt qui devenons-nous.

Atmosphères n°8

…J’avais commencé à collectionner tout ce qui me tombait sous la main, une vraie collection de découvertes devenues intimes, des objets qui m’appartenaient parce qu’ils arrivaient entre mes mains. Je ne faisais pas de gros efforts, je me penchais, je fouillais, je volais, je n’ai jamais rien demandé. Je n’en parlais pas, je le faisais.

Il arriva un jour où j’entrepris de me construire une maison en entassant scrupuleusement, régulièrement comme d’après un manuel, en élevant des murs et un toit faits de tous ces objets qui pouvaient se mélanger grâce à mon industrielle énergie, s’imbriquer les uns aux autres sans résistance, tout en réalisant des sortes de damiers de couleurs et de matières différentes. Le papier devenait du ciment, le plastique protecteur et réjouissant, et le fer et le bois réconfortants.

Cette maison fut terminée au bout d’un mois tellement je disposais de matériaux. De la route, on ne remarquait qu’un tas d’ordures, une sorte de décharge organisée pour ne pas trop déplaire au paysage, un cube aux arêtes molles mais réelles, quin au lever du jour, devenait un temple gris et solide et à la tombée du jour, un des éléments d’un mirage flamboyant, disparaissant lentement avec la nuit tombante. Moi, il m’arrivait de m’asseoir un peu plus loin et de me complaire dans la satisfaction d’un travail instructif et bien accompli. J’étais fier de cette maison, mais ne voulais pas recevoir d’étrangers, refusant d’entendre la moindre question quant à la difficulté de cette épreuve, la résistance des matériaux, le confort, le désagrément des odeurs de matières plastiques brûlées par les rayons du soleil, le bruit incessant des moteurs qui circulaient à longueur de journée sur la route proche. J’étais confiant et solitaire.

Je me suis mis à meubler cette maison, à voler dans des hangars un réfrigérateur, une cuisinière en fonte, un lit à deux places avec son matelas en coton et ses draps bleus ciels, une lampe de chevet et un poste de radio à pile. Je ne faisais rien à manger, seulement dormir et regarder ces murs.

Justement, c’est peut être parce que je n’y vivais pas vraiment que j’ai commencé à penser, à rêver, à m’ennuyer, à retirer un premier magazine du mur qui longeait le lit pour en découvrir les images et lire les textes des articles, puis un autre, puis un avion de couleurs rose et mauve pour me faire une guerre d’enfant, un verre jaune pour un  refuge anti atomique, un soldat pour le caresser, un voiture pour m’enfuir, un autre magazine pour me détendre, une grille d’égout pour me défendre, etc. À tel point, que le désordre s’installa à l’intérieur, que l’air frais s’engouffra de plus en plus violemment, que le toit vacilla et qu’un jour, je me suis réveillé entouré d’une horde de flics qui demandaient en répétant doucement ce que je faisais allongé nu sur un lit, surpris et enseveli sous un tas d’ordures, trop près des quartiers résidentiels, pas assez loin de la ville, pas assez près du désert. Je leur ai répondu que décidément je ne pouvais rester en place quelque part. J’avais tenté le coup avec cette maison et c’était vrai qu’elle valait le coup d’œil, de loin. Je l’avais voulue sobre mais princière, altière, à l’image de ma curiosité, un monument quoi, un monument à moi.

Je suis reparti sur la route après m’être échappé du poste de police où personne ne s’occupa de moi.

Georges Tony Stoll, La Maison (extraits)

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